C’est triste mais c’est ainsi. Un beau matin, j’ouvre mon quotidien local et je lis, comme tout le monde, la rubrique nécrologique en premier. Et là, stupeur: les jeux vidéo sont morts. Les bons, évidemment, car ce sont toujours ceux là qui partent les premiers. On venait d’entrer dans l’année 1998. L’année précédente avait été un tournant.
Une des pertes collatérales de l'année 1998.
Pourquoi ce dossier? Il y a 450 bugs à fixer sur GameTrip en ce moment, une dizaine de tests à faire, et je n’ai pas encore acheté du pain pour ce soir, alors pourquoi ce dossier? Pour une raison interne principalement: à chaque nouvel arrivant sur notre beau site référence des jeux vidéo oldies, on me demande un truc idiot. «Pourquoi vous testez que jusqu’à fin 1997?». J’ai toujours la même réponse, presque préconstruite depuis. D’autant plus que je dois aussi me battre avec Robinsoldier, mon bien-aimé et dévoué adjoint, co-fondateur du site, qui ressasse à intervalle régulier, comme une rengaine, «alors, c’est bon là? On va pouvoir tester jusqu’à 2000?». Ce à quoi je coupe court avec un cinglant «non, pas de débat». Mais aux annonceurs, aux promoteurs, aux investisseurs, aux commentateurs de TF1 et à ceux qui veulent faire de la pub pour GameTrip dans leurs colonnes, il faut un argument plus convaincant. Et je l’ai, car cette date n’est pas tombée du ciel comme ça.
Nom de Zeus Marty, je reviens de '97, mais c'était hier
Bon, à la limite, y'a eu ça de pas trop mal en 1998.
Une ligne éditoriale d’un site se construit sur une croyance, souvent. On veut parler des oldies, certes, mais les oldies le sont en référence à une année de départ. Alors comment faire un site dont la ligne éditoriale bougerait tous les 1er janvier? Hein? Répondez! Taisez-vous Elkabbach! Dès le départ, il a fallu délimiter. C’était plus facile de trouver une borne de départ déjà. Sauf événement majeur de l’histoire de la science, qui pourrait découvrir qu’en fait les hommes de Neandertal avaient des
Amstrad dans leurs grottes et que donc les jeux vidéo ont été inventés bien plus tôt, je ne devrais pas avoir de problème. Pour la date de fin, c’est plus compliqué. Mais ce fut une révélation lorsque j’ai fouillé dans ma mémoire.
Ce n’est pas pour perfectionner un jeu qu'on attend 14 ans pour le sortir
En 1997, le monde des jeux vidéo s’est scindé en deux. Avant: les bons jeux, avec un scénario, avec une volonté artistique, avec une aura presque mystique. Après: les
FPS (je les aime bien, hein, mais c'était le début de cette mode quasi hégémonique), le déclin des studios pionniers, la mort d’une quelconque envie de faire plaisir aux joueurs. La preuve, en 1997, on a annoncé
Duke Nukem Forever, la seule vraie grosse arlésienne de l’histoire des jeux (sauf peut-être avec STALKER plus récemment). Le début d’une histoire presque sans fin où éditeurs, développeurs, joueurs se sont battus et ont fait reculer la date de sortie du jeu. Ce n’est vraiment pas pour perfectionner le jeu que celui-ci a attendu 14 ans pour sortir. C’est à cause des batailles internes et des histoires de gros sous. Si les faillites étaient légions dans les oldies, au moins, on respectait un public en attente. Et on n’attendait pas 14 ans pour finalement sortir une bouse.
RIP Guybrush, on te regrettera, gros
«Taisez-vous Elkabbach!» Fallait l'avoir, désolé.
Mais ce n’est pas ça qui a tué le jeu. A partir de 1997, les
FPS ont pris la place des jeux d’aventure. Le
point & click était adulé, représenté à foison, plébiscité par la critique, et puis tout à coup, ce sont les jeux violents, idiots, de tir subjectif ou d’action grossière qui ont commencé à prendre le haut du panier. Une évolution sans doute logique qui répondait surement à une attente du public. Un peu comme quand les comédies se sont imposées dans les cinémas après la guerre, le public las des films trop proches d'un quotidien morose... Oui, la mort des jeux, c’est un peu de la faute des joueurs aussi, et je vous déteste.
Souvent, je raconte aux gens l’histoire de la question qui est à l’origine de GameTrip: «dans le même genre, qu’est ce qui t’as procuré plus de sensations que
Les Chevaliers de Baphomet 2 depuis sa sortie en 1997», disais-je à mon acolyte de toujours en 2006. Long silence teinté de nostalgie. C’est pas moins bon, c’est différent. En 1997, certains des meilleurs jeux de la décennie 1990 sont sortis:
FF7 en novembre,
GoldenEye 007 en août,
Lylat Wars en octobre,
Mario Kart 64 et
Gran Turismo (au Japon) en décembre ; et dans une moindre mesure les très bons
Tomb Raider II,
Age of Empires ou
Diablo. C’est la chute d’une ère en même temps que celle d’une génération. La cinquième, avec les consoles conviviales faites pour des parties entre amis:
N64,
PlayStation et
Saturn. En 1998 arrivent celles de la sixième génération. Cette 6G qui permettait l’exploitation totale de la
3D et qui a donné aux éditeurs les droits de se dire qu’un scénario n’avait aucun intérêt lorsqu’on avait de belles images. Idem pour la durée de vie d’un jeu, qui n’est pas utile. C’est d’ailleurs la génération de console qui a reçu le plus de vives critiques, du fait des contenus: guerre, crime, femmes à poil et autres sont apparus plus concrètement dans les jeux, et plus réalistiquement, du coup.
Je suis limite NeRvOUS bReakDOWN là!
Avant 1997, on avait découvert le
FPS, le
RTS, on inventait des nouveaux genres et on renouvelait ceux qui étaient là depuis des lustres, comme le jeu d’aventure ou la plate-forme. À cette époque, on différenciait
le PC de la console aussi. A partir de 1998, même avec les tentatives de
LucasArts, qui fait l’erreur d’abandonner le
point & click pour le contrôle au clavier, rien n'y fait. Pour le studio qui a inventé le SCUMM Engine, ce seront trois productions jusqu’en 2000 ; autant que ce qu’ils faisaient en un an avant.
Sierra, en phase montante entre 1992 et 1997, stagnera puis se fera racheter par des grosses boites, un peu comme toutes les autres vedettes de l’époque.
Revolution finira son
deuxième Baphomet, puis silence radio. En regardant la biographie de chaque petite société de l’époque, on se rend compte que les années 96-97-98 marquent souvent un tournant dans leur histoire. Le jeu d’aventure était perdu, écrasé par des patrons aux gros cigares, des plannings de ouf à respecter pour sortir des jeux à Noël même s’ils sont en version
bêta, des genres moins nobles, moins portés sur la réflexion et le plaisir du public.
Résumons: je n’ai rien contre la nouvelle génération, car elle a apporté son lot de belles surprises, certes beaucoup moins que dans l’ancienne génération des oldies, mais tout de même.
Nostalgie des jeux où la musique ne servait pas à combler des trous du scénario
La preuve, en 2012, pour la première fois depuis 1997, j’ai découvert deux jeux qui ont réussi à me transporter dans un univers comme je n’avais jamais pensé l’être. L’un pour le côté réalisation et scénario digne des jeux d’aventure de l’époque, l’autre pour un univers épique et extraordinaire, assorti d’une aura digne d’un
RPG des années 80 (et j’aime pas le genre, alors faut vraiment y aller pour me plaire). Malheureusement, ce furent deux jeux PC, ce qui prouvent bien que les consoles d’aujourd’hui, à force de vanter les capacités techniques de leurs cartes graphiques et la possibilité de se connecter à tous ses amis dans le monde, oublient que jouer à un bon jeu, ça doit aussi pouvoir se faire en solo et avec plaisir, avec une interface qui n'est pas obligée d'être parsemée de gadgets à la con, où la musique ne doit pas servir à combler les trous dans les pages de synopsis des concepteurs de niveaux, où chaque chose à l'écran a un intérêt et doit donc être réfléchi avant de le rendre visible au public. Faut bien l’avouer, en 1997, on a quand même entamé une période qui a tué les jeux vidéo. Chié quoi. Merde.
- Mal écrit le 30/01/2012 à 1h00 par Jivé.